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Dans cette série de trois articles, les Lettres d’Alice vous font partager les témoignages recueillis lors du reportage en Esat (Établissement et service d’aide par le travail) publié en mai. Des récits de vie éclairants sur la réalité plurielle du handicap psychique.  Voici le témoignage d’Olivier.
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“La maladie psychique m’a amené à me recroqueviller. Elle m’a amenée à ne plus avoir d’amis. Même ici, à l’Esat, je n’ai pas forcément été amené à me faire des amis. Je ne vois pas beaucoup de gens. Heureusement, il y a ma famille. Sur mon téléphone, des sollicitations arrivent pour amener de nouvelles personnes dans ma vie, des sollicitations qui appellent des rencontres. Je n’y réponds jamais. 

Ça fait presque 20 ans que je travaille en Esat. J’ai travaillé dans trois ou quatre autres avant celui-ci. Je suis à l’atelier bureautique depuis 6 mois, et à l’Esat depuis 9 ans. Ce qui m’est arrivé, c’est un classique pour la schizophrénie. 25 ans, c’est une date charnière. J’ai travaillé au crédit international Renault, à la Poste, dans le milieu de la confection, du prêt-à-porter, de l’imprimerie… Tout ce temps, j’étais déjà malade, mais je ne le savais pas. Quand le moule a été cassé, on s’est aperçu que l’œuf était pourri.

“Le lien qui peut se faire à travers une carte n’est pas évident,mais il me rassure”

Ici, on a tous nos pathologies. Souvent, je suis dans une sorte de silence, et puis il y a des voix qui arrivent, certaines rassurantes, d’autres plutôt ordurières. C’est pour ça que je garde mes distances. C’est difficile de se faire des amis, et c’est difficile de ne pas en avoir. Mais bien sûr, l’Esat est tout de même un lieu où on peut discuter. Nous avons une liberté, simplement, on respecte le bien-être des autres. Il y a une relation à l’Esat qui est importante. Beaucoup de gens y sont attachés, même si ça ne se voit pas toujours sur nos figures, parce qu’on est concentrés sur le travail. On est interdépendants, on se tient la main, d’une certaine façon. On essaie d’avoir la meilleure harmonie possible. 

Par moment, j’ai des périodes de tempête. Et parfois, c’est le calme plat : ça n’est pas toujours facile de faire le lien entre les deux. Depuis le temps, on m’a aidé à me contrôler. Certains disent qu’il ne faut pas parler aux docteurs, ils ont l’impression que c’est un flic. Moi j’essaie d’avancer, de me projeter. Je garde le contrôle dans les moments de tempête, j’essaie de garder les pieds sur terre : est-ce que je les ai ? Je me dis que je ne suis pas si mal que ça, pour un vieux modèle.

Je n’ai pas créé d’amitiés, ici. Mais quand je pars en vacances, j’ envoie toujours une petite carte à l’Esat.  Le lien qui peut se faire à travers une carte n’est pas évident, mais il me rassure, il me réconforte. C’est aussi une petite pensée pour soi. Ce lien de stylo à papier est quelque chose de très important. Il y a ce film sur les Indiens, La flèche brisée : on y dit une chose qui m’a marqué : “laissez passer le courrier !” Voilà, c’est fini. J’ai dit tout ce que j’avais à dire. On termine sur les Indiens. Et sur le courrier.”

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