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Cher.es correspondant.es, 

Les dernières lettres que j’ai envoyées devaient à coup sûr contenir encore un peu de la douce chaleur humide qui a fait mon bonheur pendant tout ce froid mois de décembre. Quoique, j’imagine que la traversée de la planète a refroidi ces missives pourtant rédigées avec cœur. Comme ceux qui les ont reçues s’en souviennent, je ne tarissais pas de curiosité et d’éloges pour les “sentôs”, les bains publics japonais. De véritables trésors de sociabilité pour découvrir la vie quotidienne sur place ! J’avais notamment remarqué que, passée le rideau séparateur marqué “femmes”, toutes les demoiselles avaient laissé tomber la pudeur pour se promener nues en toute liberté. Impudique que je suis, je me suis penchée un peu plus sur cette question de la nudité au pays du soleil levant ! Je me suis alors aperçue que le rapport au corps avait énormément évolué dans l’histoire japonaise. Prêt.es pour un plongeon dénudé dans l’histoire ? 

Des bains totalement mixtes

Comme je l’ai expliqué dans mes lettres, le bain public a connu son apogée à l’époque Edo (1603-1868). Et, surprise, à cette époque, il n’y a absolument pas de séparation entre hommes et femmes ! Il s’agit alors davantage de “bains” de vapeur, des espaces clos par des parois de bois. Hommes, femmes comme enfants s’y détendent ensemble dans le plus simple appareil. À la même époque, les “yunas” font leur apparition, littéralement, les “femmes de l’eau”. Employées des bains, elles ont pour charge de frotter les dos en journée, mais s’adonnent souvent à la prostitution une fois la nuit tombée. Certains sentôs avaient même aménagé des scènes pour leur permettre de jouer du shamisen (pour faire simple, une sorte de mandoline japonaise).

Oui, mais voilà, toutes ces choses pas très catholiques ne manquent pas de choquer au plus haut point les occidentaux, lorsqu’ils débarquent en terres nippones ! À partir de l’ère Meiji (1868-1912), les visites se font plus fréquentes, et ces coutumes sont régulièrement qualifiées de “barbares” par ces visiteurs qui n’ont de toute évidence pas peur de l’ethnocentrisme culturel. Au début, ces critiques ont pour effet quelques tentatives de réformes, de décrets préconisant la séparation des hommes et des femmes. Dans les faits, ces directives sont très peu suivies.

Quand les États-Unis rhabillent le Japon

Pourtant, les habitudes vont finalement basculer dans les années 1900. Le commandant américain Perry est pour beaucoup dans ce changement, explique le chercheur Machida  Shinobu, qui a étudié pendant près de 30 ans l’histoire de ces bains publics. Lors de ces visites, il est très choqué de “l’immoralité” de ces bains publics, et son ressenti influence beaucoup les dirigeants de l’époque. Finalement, la coutume des bains mixtes finit par disparaître presque complètement. On en retrouve des vestiges encore aujourd’hui, dans certains zones très localisées du Japon.

Petits bains en famille

Les réticences face au dévoilement du corps entre hommes et femmes sont aujourd’hui très ancrées. Pourtant, la nudité garde encore aujourd’hui une importance toute particulière, au Japon, explique la chercheuse Joelle Nouhet-Roseman, docteure en psychopathologie fondamentale et psychanalyste. Il y a, bien sûr, l’espace bien particulier des sentôs : la nudité y joue un rôle d’abaissement des barrières sociales. Mais en dehors de ça, la chercheuse souligne toute l’importance de la nudité dans la sphère privée, familiale. Pour les japonais, “le bain en famille resserrent améliore les liens entre parents et enfants”, explique-t-elle. Elle note aussi quelques expressions particulières et révélatrices  : “hada to hada no fureai” signifie “l’unité silencieuse peau à peau” La pratique du peau à peau entre la mère et son enfant est d’ailleurs très encouragée. Les parents prennent leur bain avec leurs enfants jusqu’à un âge qui serait considéré comme tardif en occident : si les bains père-fill s’arrêtent généralement autour de la puberté, les bains mère-fils peuvent continuer au-delà. Autre fait intéressant, une conversation « à cœur ouvert » se dit en japonais, littéralement, une conversation « le corps exposé ». Plutôt étonnant, dans un pays ou le contact physique est réduit au strict minimum…

À bientôt par lettres !
Alice 

Pour en lire davantage sur l’analyse de Joëlle Nouhet-Roseman : c’est ici ! 

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