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La lessive des morts

Récemment, mes pas m’ont menée vers Madagascar, une île où j’ai passé trop peu de temps à mon goût. Comme ceux à qui j’ai envoyé des missives ont pu le constater, j’y ai tout de même fait quelques rencontres étonnantes, qui, je pense, vadrouilleront encore longtemps dans mon esprit. Pourtant, il y a quelque chose que je n’ai encore raconté à personne : pendant le trajet, alors que je m’accrochais vaillamment au siège pour survivre à la colonie de nids de poule implantée sur la route, le chauffeur de taxi a fait une petite pause.

En contrebas, une rivière gargouillait joyeusement. Assis sur les rochers, une quinzaine de personnes faisaient apparemment leur lessive du jour. Les vêtements étaient trempés dans l’eau vigoureusement, frottés, puis étendus à sécher au soleil, directement posés sur les rochers. Je m’apprêtais à m’installer tranquillement à leurs côtés pour faire trempette lorsqu’un vieil homme m’a tranquillement signalé qu’il ne s’agissait pas là d’un simple récurage vestimentaire, mais d’un rite funéraire familial.

 

Qu’y a-t-il dans cette lettre ?

  • Un récit de terrain issu de ma virée à madagascar
  • Des illustrations réalisées par Pierre Baillot
  • Un jolie marque page pour ne pas perdre le fil de vos histoire

Une eau qui purifie

Passablement catastrophée, je me suis excusée une demi-douzaine de fois, avant de constater que mon interlocuteur n’avait pas du tout l’air ennuyé de ma présence. Au contraire, il s’est même mis à me décrire les tenants et aboutissants de ce qui se déroulait sous mes yeux, le tout avec un sourire à vous éblouir durablement ! Il m’a indiqué que l’eau joue un rôle de purification dans certains rites funéraires de Madagascar. Les corps morts sont souvent associés à une influence néfaste. Cette famille lavait donc les vêtements d’une personne récemment décédée dans une rivière, tout simplement pour que le malheur parte avec le courant. Or de question pour mon interlocuteur, par exemple, de laver ces vêtements dans une eau stagnante. Il ne faudrait pas que le malheur macère !

Il semblerait que l’eau revienne régulièrement dans les rites malgaches. Et ça ne date pas d’hier ! Déjà en 1932, l’ethnographe M.G Grandidier racontait par exemple que les proches d’un défunt, en revenant des funérailles devaient faire des ablutions dans de l’eau où avaient infusé des plantes spécifiques. Ceux qui y avaient simplement assisté devaient tremper un coin de leurs vêtements dans l’eau. Il évoque aussi des cas traditionnels de possession, dans lesquels plusieurs rituels étaient effectués pour guérir la personne ainsi atteinte de convulsions : là encore, tout se terminait par une trempette dans la rivière.

 

Un « retournement des morts » festif !

Nombreuses sont les traditions qui se sont perdues avec le temps, mais comme j’ai pu le constater de mes yeux aliciens, certaines restent donc bien vivaces. Récemment, c’est la tradition du “retournement des morts” ou famadihana, qui a beaucoup fait parler d’elle. Traditionnellement, une fois que le corps d’un défunt s’est entièrement décomposé, la famille organise une grande célébration. Cela peut se produire environ tous les sept ans, ou, semble-t-il, lorsque que quelqu’un de la famille rêve que le défunt réclame cette cérémonie. Ben oui, à force de rester toujours dans la même position, on s’ankylose, paraît-il… Lors du famadihana, on exhume donc les restes du défunt, pour en changer le linceul. Le corps est alors porté sur les épaules de membres de la famille, et promené joyeusement dans une ambiance très festive. C’est aussi l’occasion, cette fois, de s’attirer le bonheur à travers les faveurs de l’ancêtre fêté… Malheureusement, si les médias en ont beaucoup parlé il y a quelques années, c’est en raison des cas de peste, qui ressurgissent régulièrement peu après les périodes où ont lieu ces cérémonies.

Si j’ai en tout cas retenu une chose, c’est bien que les morts, à Madagascar, sont une présence avec laquelle il faut compter, bien plus que dans ma Bretagne natale

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À bientôt par lettres !
Alice